Article: Pol Taburet : The Hat And The Hunt

Pol Taburet : The Hat And The Hunt
Les Cahiers d'Art sont heureux de présenter l'exposition Le Chapeau et la Chasse de Pol Taburet du 18 octobre au 20 décembre 2025, dans nos deux galeries situées aux 14 et 15 rue du Dragon, à Paris.
Les figures écorchées du Greco, les moines de Zurbarán qui « glissent en silence sur les dalles des morts », les cauchemars de Goya – elles se succèdent dans les couloirs du Prado. Goya, surtout le Goya âgé, l'œil à jamais terrifié par tant d'horreurs ; Goya, « maître dans l'utilisation des gris, des argents et des roses de la plus belle peinture anglaise, [formé] à peindre avec ses genoux et ses poings dans les noirs de goudron effroyables ». On l'a relégué tout au fond du musée, dans une salle où les peintures noires étouffent toute fierté et nous rappellent combien une certaine Espagne pense et vit profondément en noir. À quelques rues de là, on se salue et on boit jusqu'au bout de la nuit dans un bar nommé Dolores – « chagrin » – et plus loin encore, d'une autre pièce aux rideaux tirés et à la porte entrouverte, s'échappe le cri flamenco d'un cantaor qui brise le silence qui lui est imposé.
C’est dans cette Espagne, « pays ouvert à la mort », où l’on acclame la Faucheuse penchée à la fenêtre et où l’on la porte sur son dos lorsqu’elle est fatiguée, que Pol Taburet s’essaya à la lithographie. Il le fit dans l’air chargé de légendes et de fantômes madrilènes, sous le regard du maître-esprit Goya (car c’est ainsi qu’il faut l’appeler) et avec des intentions qui lui rendent hommage : avant tout, la traque – une véritable « tradition biblique », l’un des moyens de gouverner le monde, surtout lorsqu’il faut le contenir.
Une telle réalité n'aurait pu échapper à Elias Canetti, qui osa demander : « Qui tuerait qui, si le secret pouvait demeurer absolu et éternel ? » Telle est la question, et elle méritait d'être posée à travers quelques pierres – celles-là mêmes qui donnent forme aux Contes de Papa Tonnerre de Pol Taburet. Ces gravures portent le nom d'un personnage qui, après avoir recueilli en silence les confessions les plus intimes de ses confidents et les avoir révélées, se retrouve condamné à l'exil et à errer sans fin dans le néant. Et une fois libéré tout ce qui aurait dû rester scellé par le silence d'une promesse, une danse d'ombres s'engage, donnant libre cours à tous les vices et à la possibilité de tuer ou de mourir sans hésitation.
Dans une atmosphère incertaine et purgatoire, empreinte peut-être de conspiration – de méfiance, en tout cas –, ces douze gravures représentent douze scènes qui évoquent la guerre de tous contre tous. Elles racontent une chasse où chacun est la proie d'un autre, sous le regard impuissant et passif d'un Dieu qui voit ses enfants s'entredéchirer. Au final, peu importe que le soleil continue de briller, que l'horizon s'obstine à se lever pour réclamer sa lumière, car l'au-delà semble avoir perdu tout contact avec l'ici-bas. Loin de vouloir effleurer naïvement la grâce, ces gravures émergent des rues et des ruelles où des ombres belliqueuses se glissent, peu soucieuses de savoir si elles doivent rejoindre l'armée ou la milice, car après tout, chacun est un traître potentiel. Elles se dirigent vers l'abîme, elles creusent, elles s'enfouissent. Elles prennent sens parce qu'un continuum s'impose enfin entre le geste et la pensée, entre la technique et le contenu, et parce que la gravure a ses raisons que le coup de pinceau ignore.
La lithographie invoque le vide et le hasard ; elle ne consent à se rendre qu’accompagnée de caprices dont elle n’avait averti personne. Elle exige qu’on déplore toute intention claire, car en voulant montrer, on cache, et en voulant cacher, on expose : c’est là qu’apparaît la « radiographie » du dessin, comme l’appelle Pol – son squelette. Le trait bave, des taches apparaissent, et toute l’obscurité de « l’Espagne douloureuse » semble obstinément surgir des profondeurs.
Il est vrai qu'ici, la sordidité ne se dissimule pas. À l'époque de l'Inquisition, la maison du bourreau était peinte en rouge, « car il devait marquer son repaire et sa personne à l'horreur de ses semblables », et ainsi l'horreur put parader fièrement sous les traits des têtes noires et cornues des inquisiteurs.
Et pourtant, comme il serait erroné de ne voir dans ces gravures, ces peintures, ces dessins que du pessimisme vaincu ! De chanter la mort, de danser avec elle ! – en faire des images aussi, l’embrasser et la célébrer avec ferveur, comme le veut la tradition espagnole – c’est, après tout, une autre façon d’affirmer ce que Canetti proposait en réponse à sa question homicide : « Il vaut mieux vivre si intensément que personne ne puisse mourir. » Il s’agit bien de fantômes qui ne meurent jamais vraiment ; il s’agit d’esprits, de survivants.

Crédit photo : Pol Taburet, Les Contes de Papa Tonnerre, 2025, lithographie, avec l’aimable autorisation de l’artiste et de la galerie Mendes Wood DM, São Paulo, Bruxelles, Paris, New York








